Code de conduite en milonga

Plaidoyer pour le tango comme danse de groupe

Nous avons tous connu le plaisir éprouvé à l’intérieur du couple quand nous parvenons à être en harmonie l’un avec l’autre dans la musique. Par contre jusque là nous nous sommes privés d’un autre plaisir que nous devrions travailler à  rechercher : celui de participer à un bal où les couples dansent accordés les uns aux autres, où les couples sont conscients d’appartenir à un tout. Un tel bal est sans doute une utopie puisque le groupe ne danse pas une chorégraphie et que chaque danseur improvise, mais cela vaut la peine de chercher à s’en approcher. Ce peut être une idée directrice intéressante.

La concentration.

1) La première chose que nous pourrions faire est de respecter davantage ceux qui ont besoin d’écouter la musique pour bien danser, en ne faisant pas de bruit autour du bal quand nous ne dansons pas.
2) La deuxième est de proscrire tout échange verbal entre partenaires en train de danser : l’échange est exclusivement gestuel ; le couple doit se concentrer sur la musique et la danse.
 
La circulation.

La milonga ou bal obéit à un code  comme la circulation routière ; bien sûr, il y a des mauvais conducteurs sur la route qui rendent nos déplacements pénibles et surtout dangereux ; mais on peut imaginer que les passionnés de tango que nous sommes n’ont aucune urgence à conduire comme des chauffards, que ce qui leur importe c’est la qualité de  l’instant présent.
1) Le bal a un sens, le sens contraire au mouvement des aiguilles d’une montre. Le danseur ne doit donc pas se déplacer en sens inverse. Il ne doit qu’exceptionnellement  reculer, après avoir vérifié qu’il ne va pas heurter quelqu’un  derrière lui.
2) Il est plus facile de danser en accomplissant le cercle le plus grand possible.
3) Idéalement, les couples devraient avancer à la même vitesse  puisqu’il y a la musique pour les accorder  entre eux. Cela veut dire qu’il ne faut pas bloquer la circulation en se lançant dans des figures qui prennent du temps sauf peut-être à disposer d’un coin où l’on ne gêne personne, ou à s’installer au centre du cercle des danseurs mais en sachant qu’on aura du mal à en sortir. Il faut rappeler que le tango est une marche, una caminata et que par conséquent chacun doit jouer le jeu en n’oubliant pas d’avancer et d’occuper le vide que laisse le couple qui le précède.

L’adaptation à la situation.

Nous devons danser en tenant compte de la densité du bal, de la place disponible. De même qu’on ne peut pas danser de la même façon un petit tango de D’Arienzo et un tango nuevo, on ne peut se comporter de la même manière si l’on dispose de peu de place et si au contraire les couples sont peu nombreux : la véritable compétence consiste à pouvoir danser « petit » et sobre quand la place est réduite. Dans ce dernier cas, il faut adopter un style fermé sans figures mais avec des variations rythmiques qui demandent de la créativité et le sens de la musique ; et la jambe libre de la danseuse ne doit pas empiéter dangereusement sur l’espace des voisins ; faire dessiner cette jambe en gardant le  pied au ras du sol est le plus sûr moyen de ne pas nuire.

Le souci des échanges.

Le bal est organisé en « tandas », ou séries de trois ou quatre morceaux de même inspiration : la cortina qui les découpe est une musique qui n’est pas faite pour être dansée, mais pour permettre aux couples de quitter la piste, de se ranger sur le pourtour pour permettre des invitations nouvelles. L’idéal serait que ceux qui n’ont pas pu danser faute de partenaire ou de place aient leur chance. Il faut que chacun et chacune sache  faire des pauses de telle sorte que les acteurs du bal se renouvellent (et les spectateurs aussi) : nul ne peut danser bien tous les styles, tous les genres ; les milongueros expérimentés ne dansent que les musiques qui leur parlent vraiment dans la plus grande concentration.

En bref, il nous faut nous civiliser pour augmenter notre plaisir. On peut certes trouver son plaisir à s’imaginer être le meilleur, à s’exhiber dans des figures compliquées, à se regarder dans les  glaces de la salle de danse, à occuper le plus de terrain possible, à bousculer ses voisins, à snober les plus hésitants, etc.. Mais puisque nous aimons danser et que nous nous donnons du mal pour danser le mieux possible, nous serons bien plus contents si nous contribuons à l’harmonie des couples dans le bal. Et ce sera la solution à une contradiction : le tango de bal n’est pas fait pour être regardé, il n’est pas tango-spectacle ; en même temps, il y a toujours des spectateurs autour de la piste.  Le spectacle réussi qui est le seul à notre portée n’est pas celui offert par tel ou tel couple mais par tout le groupe. N’oublions pas que c’est ce qui se pratique dans les milongas de Buenos-Aires !

P.S. Petit détail pratique : nous avons la chance de danser sur un parquet ; il est impératif d’utiliser des chaussures réservées à la danse et chaussées juste avant d’entrer dans la salle afin de ne pas amener le moindre gravier qui puisse gêner les danseurs et provoquer des rayures.